Et C'est Tant Mieux, Car Je Ne Ferais Pas Ça Tous Les Jours !
...comment George Miller fait du passé table rase et propulse le cinéma dans le "turfu"
Dés qu’il y a un peu de public, je ne peux pas m’en empêcher : il faut que je râle, puis raconte la longue descente aux enfers de certains artistes. Et si vous avez déjà entendu l’histoire, si je vous ai déjà joué le sketch, il faudra que vous vous manifestiez avec fermeté pour que je cesse de vous rebattre les oreilles avec cette analyse que je vous ai déjà exposée.
Dans la période “contemporaine”, il y a trois carrière qui pour moi sont emblématiques de cette longue chute artistique. Ce ne sont pas forcément mes réalisateurs préférés (il y en a même un dont je n’aime pas presque tous les films), mais par contre en parler me semble important car, bon gré mal gré , ils ont par leur succès largement contribué à faire du paysage cinématographique grand public ce qu’il est aujourd’hui. Ou plutôt ce qu’il était jusqu’à récemment.
C’est trois personnes sont, par ordre de déception personnelle croissante : James Cameron (dont je n’ai aimé que deux films et dont tout le reste me semble absolument tartignole et souvent laid, on y reviendra), Sam Raimi et Peter Jackson.
Et les 3 ont beaucoup en commun.
-un début de carrière fulgurant et (plus ou moins) iconoclaste qui leur permet de rencontrer un immense parterre de fanzouzes fidèles très rapidement
-une certaine volonté de casser un peu les moules, voire beaucoup comme leurs prédécesseurs des années 70/80 l’avaient fait. [Du moins, c’est raconté comme ça dans les livres d’Histoire !]
-beaucoup de succès, énormément de succès, des palettes de dollars, du succès, et encore du succès : ces mecs ont cassé la baraque !
-Ils se sont tous mis à la production
-ils se sont tous lancés dans des projets pharaoniques ou lancé des licences qui pèsent très lourd dans le game.
Et c’est là que les choses se gâtent. Quand ils arrivent à leur fin, quand ils ont les mains les plus libres possibles, au moment même où rien ne se met sur le chemin, où ils peuvent faire TOUT ce qu’il veulent de la manière dont ils veulent…
…ils réalisent des films affreux (ce qui est subjectif, je vous l’accorde) et qui contredisent absolument tous les espoirs qu’on avait mis en eux. TERMINATOR/ALIENS vs AVATAR. EVIL DEAD vs SPIDERMAN. CREATURES CELESTES/BRAINDEAD vs LE SEIGNEURE DES ANNEAUX. Dans chacun des trois cas, la période récente, celle des succès les plus fous, contredit les ambitions du débuts. Et je me demande bien comment réagirait leur jeune “moi” si on leur montrait leur film les plus récents. Ils seraient sans doute révoltés ! [Peut-être pas James Cameron remarque… rires enregistrés]
Qu’importe. Les films sont affreux. Ils ont tout jeté à la poubelle. Ce ne sont pas les premiers ni les derniers, même si dans leur cas, c’est incroyablement spectaculaire en matière de crash.
Mais plus encore, ce qui les a damnés sans doute à jamais, ce qui leur a enlever tout espoir de salut c’est… LE SUCCES ! Ces trois-là n’ont loupé quasiment aucune marche. Et ce qui leur aurait fallu c’est…
Non, pas une bonne guerre, bande de malicieux !
Ce qu’il leur aurait fallu, c’est un énorme, gigantesque échec commercial et public, avec gens fâchés et des centaines de millions de dollars de pertes. En une ou plusieurs fois.
Mais ce n’est pas arrivé.
Et maintenant, quelques choses de complétement différent.
FURIOSA : UNE SAGA MAD MAX de George Miller (Australie-Usa, 2024)
Francis Ford Coppola a dit un jour que faire un gros film, c’était comme dessiner avec un feutre qui fait 250 m de long: même si on y met les moyens, on ne peut que dessiner des Mickeys avec !
J’ai toujours eu une tendresse certaine pour l’ami George Miller qui me parait être un des exemples les plus sympatoches en matière d’évolution de carrière. Lui aussi a ses fans, lui aussi a connu de grands succès. Il a toujours adoré le cinéma de genre, et pourtant, sans avoir réalisé énormément de films, il a une filmographie vraiment éclectique, passant du film pour enfant au faux film de maladie ou à la comédie fantastique.
Et je vais même vous dire : si j’adore les MAD MAX c’est aussi parce que chacun des films me parait trèèès différent des précédents. Ce ne sont pas vraiment des suites. La tonalité n’est jamais vraiment la même. On assiste plus à des variations qu’à une histoire en plusieurs chapitres. Je dirais qu’on a affaire à des chroniques ! C’est très agréable, surtout dans ces temps un peu troubles pour le cinéma populaire ‘ricain où comme je lai dit brillamment sur une autre plateforme, ces grands films à succès même quand il traversent les décennies nous donne l’impression de ne recycler ad finitum une poignée de motifs répétés jusqu’à plus soif. J’avais dit ce phénomène : “n est plus proche du cover-band que du cinéma ! “
Arrêtons de râler, c’est comme ça. Avec George Miller, je n’ai pas ce problème justement. On change les règles à chaque film. On teste un peu tous les genres et ces films suintent le plaisir de se renouveler. Et ça, ça, les amis, ça rend George Miller extrêmement sympathique.
J’apprécie chacun des MAD MAX. Même le 3ème. Quand j’ai vu débouler les premières images de FURY ROAD, il y a quelques années, j’ai éclaté de rire. J’étais ravi du retour de Miller et surtout du retour de la série MAD MAX. Ce qui me frappait dans ces images, c’était leur côté criard, absolument malpoli avec des mouvements de caméra ultra-exagéré (genre le travelling avant virevoltant où la caméra passe à travers les trous d’un volant !), des acteurs qui patatent à mort. On sentait que tout l’équipe pédalait frénétiquement, même dans les descentes.
[Je me souviens aussi de fans outrés par les premières minutes, où des mannequins ultra-canons en voile blanc , sortis d’une pub pour parfum (Dior sans doute, si vous voyez ce que je veux dire) déboulaient dans la saga qui –c’est pas moi qui fait les règles- doit se passer dans la poussière, le sang, la rouille et l’huile de moteur bien dégueu, bien noire comme il faut ! C’était marrant !]
Je me souviens que même si le ton du film m’avait gentiment mis un peu sur le bord, m’avait moins impliqué (ce qui ne dit rien du film, c’est vraiment personnel), il y avait margé tout beaucoup de superbes passages notamment les scène de nuit dans le premier tiers du film qui m’avait paru vraiment superbes.
Pour FURIOSA, a posteriori, je dois bien admettre que je n’étais pas prêt comme disent les jeunes de nos jours.
Vendu un peu sur le même mode que FURY ROAD, je m’attendais à la continuation du processus dans FURIOSA, et même a des parti-pris de mise en scène ou de direction artistique proches.
[John Waters disait que lorsqu’il a regardé tranquillement chez lui la troisième saison de TWIN PEAKS, il entendait distinctement le bruit des corps des producteurs et des patrons de studios qui tombaient avec un bruit sourd en s’évanouissant, tombaient de leur chaises et s’effondraient sur l’épaisse moquette de leur salon gigantesque ! Notamment dans la séquence de l’explosion…
FURIOSA, pour d’autres raisons, m’a fait tomber lourdement sur la moquette également. Et pendant de longs moments ou de longs passages, je n’en ai pas cru mes yeux !]
Si certains trucs m’avaient fait sourire dans FURY ROAD ou, comme dit plus haut, m’avaient semblé un peu super-vulgosse ou kitschouille, ici tout est sublime. Attention quand même : l’exagération, l’emphase et la vulgarité sont néanmoins de la partie. Mais tout prend une tournure bien différente dans ce FURIOSA...
George Miller m’a fait sortir le chéquier pour je donne de l’argent pour le prochain MAD MAX en environ 3 minutes. L’intro sonore qui laisse les justifications ou les analyses à la porte du film, l’Australie vu de l’espace à l’envers, la première apparition du Conteur, l’intertitre du premier chapitre…
Désespoir, solitude cosmique (déjà vu chez Miller d’ailleurs), violence et plongée dans l’absurde : la messe est dite en dix minutes. Après une intro dans le canon de la saga (qui se termine quand même sur un plan ushuäiesque bien vulgosse du village de Furiosa, ! Bien joué !), la première course poursuite est lancée de manière magistrale, avec un travail sur la tension et les débrayages de rythme qui est déjà magnifique.
Le film va être âpre, violentissime. Et pas que physiquement d’ailleurs.
Alors, on ne vas pas vous faire un inventaire à la Prévert de tout ce qui est sublime dans le film. Faudrait pas voir à trop divulgâcher. Mais l’impression que m’a laissé le film est assez extraordinaire, surtout de par son rythme.
Ca faisait très longtemps que je n’avais été embarqué avec une telle intensité dans un film de genre ou d’action. Il y a des couloirs de 20 ou 30 minutes qui sont admirables de bout en bout, sans scorie, sans show-off énervant. Certaines scènes d’action ne semble jamais devoir finir et nous recrachent, une fois terminées, dans un état d’épuisement et de tristesse assez fabuleux. Je me suis surpris, à trois ou quatre moment, à repérer ce que je pensais être une petite baisse de régime, avant de me rendre compte de ce qui s’était passé. Non , ce n’est pas un coup de mou, c’est juste la scène, calme, qui suit la séquence de TRENTE BLOODY MINUTES impeccablissimes, chauffées à blanc qui t’ont violemment collé dans ton canapé sans que tu te rende compte..
Mes amis, on sent les G tout simplement. La tension de certaines séquences, leur longueur parfois ou au contraire leur “simplicité” (la séquence de sauvetage de Jack par Furiosa dans la fabrique d’arme, simple relativement courte mais qui vous chauffe encore plus qu’une séquence furax de 30 minutes impeccables !) forme un structure assez folle, avec des contrastes fulgurants et signifiants.
C’est merveilleux. Tout ou presque est beau et/ou déchirant. Car il n’y a pas que sur la forme que sa bosse. Sur le fond, c’est bouleversant. Le film s’appelle SAGA, et effectivement, encore une fois, c’est la forme du conte qu’exploite Miller. Il y a bien sûr l’intrigue principale –grosso modo, le vieillissement de Furiosa et sa “vengeance “-, mais le film va bien au-delà.
Grosso modo, le film raconte ce que nombre de blockbusters cherchent à faire, toujours en vain : nous raconter la “naissance” d’un personnage et ici on pourrait même dire, d’une personne.
Des personnages , il y en a un paquet dans le film, souvent des silhouettes stylisées mais aussi des méchants. Eux, ils existent et la plupart du temps, entre deux massacres arbitraires ou deux lynchages, ils ne font qu’en chose : parler, parler, encore et encore dans de longues tirades bien characterisantes. Ils parlent jusqu’à plus soif. Ou alors ils se taisent. Ou font parler d’autres à leur place. De ce point de vue, le choix un peu curieux de Chris Hemsworth en nouveau méchant principal est hyper judicieux. Ces dialogues sont incroyablement verbeux et l’acteur a parfaitement compris ce qu’on lui demande : en rajouter, en faire des caisses, jouer à fond comme dans du Boulevard. Et ça fonctionne parfaitement. Ces gars-là ne sont rien, ils ne sont que des vecteurs de violence pure. Quand ils parlent, ils ne disent rien.
Jack et Furiosa, c’est le contraire. Ils ne parlent quasiment pas (AnyaTaylor-Joy a peut-être une minute et demi de dialogue en 2h40 de film), mais quand ils parlent, ils disent. Ils remettent le Verbe et l’humain dans la machine. C’est bouleversant.
Paranthèse sur les acteurs. Anya Taylor-Joy est une tout à fait bonne actrice mais dans certains rôles (ou certaines prises), je l’ai déjà trouvée vraiment moyenne. Ici, elle est parfait, ultra-précise. Chapeau Madame !
La révélation du film, c’est aussi Tom Burke qui est SU-BLIME ! Quand je pense à tous les grincheux et leur “rendez-moi Tom Hardy”, j’ai envie de rigoler ou de pleurer. Ce gars est incroyable, fait passer énormément de choses et puis tout bêtement : il est très proche du Mad Max original. Encore une fois, très bon choix. C’est aussi à cause d’eux que le film fonctionne. Pendant que les gros méchants font les kékés au premier plan, c’est lui, Jack, et c’est elle, Furiosa, qui font fonctionner le film. Je pense notamment à la scène de “la capture” qui est tout simplement bouleversante. [Je peux pas en dire plus sans gâcher, mais cette dernière scène, après une séquence complétement dingue, est peut-être un des plus beaux moments de tous les films MAD MAX, en plus de lancer de manière magistrale la dernière partie du film. En fait, Tom Burke devrait être nommé aux oscars (et bien sûr l’avoir, dans un monde idéal).
FURIOSA : UNE SAGA MAD MAX est un qui m’a laissé des impressions aussi belles que contradictoires. De ne pas avoir vu le temps passer (pourtant j’en ai marre des films de 2h40). De m’avoir fait un grand huit émotionnel totalement bouleversant (mouchoirs obligatoires d’ailleurs !). J’ai l’impression que le film faisait 1h20 et il m’a lessivé comme si j’avais vu un film de 5 heures.
Enfin, dernier point, l’utilisation des effets spéciaux est tout simplement superbes. Parfois très ostentatoires (les effets de sautes et de défilement accéléré, certains paysages qui paraissent en impression derrière les personnages), parfois superbement discret, ou au contraire, très impressionnant, c’est un régal.
Et je conclurais d’ailleurs là-dessus. Voilà 40 ou 50 ans que Hollywood et les autres cherchent la formule parfaite pour faire des films épiques avec de beaux spéciaux, la plupart du temps en pure perte. Pour la première fois, Miller fait peut-être rentrer le cinéma de divertissement (celui des feutres de 250m de long !) dans une nouvelle ère vraiment belle et signifiante. Ce film, si il y a une justice, devrait ouvrir la voie à beaucoup d’autres. On en a peut-être enfin fini avec ces acteurs qui jouent devant des à-plats de couleur, aussi intéressants que des fond d’écran d’ordinateur (LE SEIGNEUR DES ANNEAUX au hasard), des bandes démos techniques sans queue ni tête et mégalaides (AVATAR). Miller a remis la technique au milieu des images et a sans doute, par ce seul film, réinventer l’usage des effets spéciaux. Parce qu’il fait de la mise en scène avec. 40 ans après, il a simplement découvert la pierre philosophale. Pas mal pour un vieux crouton comme lui, non ?
Quelle leçon !
[Un truc que je n’ai pas pu caser ailleurs: si le film n’était pas si chatoyant par endroit, on pourrait parler d’une espèce d’expressionnisme nouveau. Il y a d’ailleurs une intensité dans ce film qui rappelle le cinéma muet tout bêtement, et les acteurs sont aussi dirigés dans ce sens .]
Je vous laisse là-dessus.
Prenez soin de vous. Peace.
Dr Devo.
"Dans chacun des trois cas, la période récente, celle des succès les plus fous, contredit les ambitions du début"
Là-dessus, je ne pense pas. Ce sont des cinéastes qui avaient un rêve au début, mais qui par contraintes budgétaires, on fait des œuvres géniales à partir de brics et de brocs (tu n'as bizarrement pas parlé de Piranha 2, le vrai premier film de Cameron, haha !)
Et c'est bien connu : en art, plus les contraintes sont lourdes, plus on est inventif ! Il suffit de jeter un oeil sur tous les cinéastes qui ont fait des oeuvres sous le joug d'une censure extrême (ex : Europe de l'est) et qui sont souvent leurs meilleures.
Alors oui, je peux comprendre qu'on soit déçu parce que nous interprètons souvent les débuts de carrière comme la "vraie" personnalité de l'auteur, ce qui n'est pas forcément vrai. Je pense que Jackson rêvait de faire Le seigneur des anneaux alors même qu'il réalisait Bad Taste et Raimi rêvait de faire du Comics alors qu'il réalisait Evil Dead (ici, c'est quand même évident !).
Mais en fait, on peut en citer plein d'autres comme ça !
N'oublions pas qu'en général, la fougue appartient à la jeunesse ! C'est tout simplement qu'ils vieillissent... La niak n'est plus là (quoique Miller est une sacrée exception !!).
Et combien de fois on entend ça en musique aussi ? Entends-tu souvent les gens parler de groupes et dirent " moi, c'est leur dernière période que je préfère !"
Concernant J.C.: Je persiste et signe: Titanic est un chef d'oeuvre absolu. La 1ère fois que je l'ai vu en salle, j'ai trouvé ça médiocre et je m'en suis moqué. Je l'ai revu par hasard sous la contrainte quelques années plus tard, et mon sentiment commençait à changer, j'ai réalisé que c'est un film que j'aurais envie de revoir. Et puis je l'ai revu y a 2/3 ans avec cette fois ci un priori beaucoup plus positif, parce qu'entre temps Di Caprio est devenu (à peu de choses près, ne chipotons pas) le meilleur acteur américain de sa génération et Kate est restée sympathique et ce film est absolument magnifique. Le côté grandiose n'a pas pris une ride, la chanson de Céline Dion est toujours le truc le plus mythique jamais composée par une star de la chanson spécialement pour un film à ma connaissance, baby Leo est le bébé le plus charismatique de l'histoire des bébés, et oui les dialogues sont écrits avec les pieds, le script est pas ouf, y a plein de trucs un peu ratés, mais putain de bordel de merde TITANIC les gars!!! En fait, je pense que c'est assez évident que certaines oeuvres représentent la définition d'un chef d'oeuvre au delà de toute opinion personnelle et de toute subjectivité, de par leur impact culturel, leur influence, et leur place dans l'imaginaire collectif. L'idée que La Joconde serait un mauvais tableau, ou que la 7ème de Beethoven c'est de la merde, ou le bon vieux "la tour Eiffel c'est moche", c'est quand même pas très sérieux. Et d'ailleurs Titanic est un film à la fois très peu sérieux et en même temps mega ultra sérieux, y a une tension étrange dans le ton de ce film qui est de toute évidence quoi qu'on en dise objectivement un "grand" film, et à mes yeux un film d'une puissance rare et d'une profondeur abyssale.