LES NEWSLETTERS, C'EST FINITO ! : pourquoi je quitte Substack, le game et les internets...
...où l'on découvre que l'hystérisation des films est vecteur de nuances et de rassemblement.
Voilà maintenant quinze jours, peu ou prou, qu'existe LE CABINET, cette newsletter que vous lisez en ce moment même (je sais : ça commence bien!), et il me semble que c’est le bon moment pour faire le bilan de cette expérience.
Je ne saurais le dire pour vous, mais de mon côté, ça s'est globalement bien passé. Aussi bien j'avais une certaine expertise pour le blogorât et la critique cinématographique (à travers feu le site Matière Focale), que je n'entravais goutte à la newsletter. Et disons le franchement, des erreurs ont été commises.
Tout d'abord, entre le projet initial et la première mise en ligne, la ligne éditoriale à franchement bouger. Le corps/core/coeur de l’activité devait se concentrer sur une espèce de guide non-exhaustif à travers la jungle des plateformes. Avec un ton amusant et distingué, le but était de faire découvrir, au hasard, quelques films. Être le Télé7Jours inefficace et trop parcellaire du monde de la newsletter. Très vite, nous nous sommes dit -et franchement, c'était à prévoir- qu'il serait bon d'étendre la chose aux séries, choix déjà contestable, puis à ceci, puis à cela, processus qui a immanquablement conduit à la déroute du troisième et jusqu'ici dernier article où LE CABINET s'affichait en version complément week-end magazine. Une vraie honte, si vous voulez mon avis.
[#CestPasLeFigaroIci, comme disent nos lecteurs les plus jeunes.]
Deuxième accroc à la décence et au savoir faire: le rythme de publication. Et là, mes très chers amis (ça aussi, ne le faîtes pas: on n'interpelle pas, on ne force pas la complicité), vous me permettrez d'exécuter moi-même ma sentence, par auto-flagellation, mais aussi de plaider l'ignorance. Je ne savais pas. Ce n'est pas ainsi qu'on procède.
Vous me connaissez ou vous l'avez compris en me lisant, il y a chez moi, malgré un âge avancé, un côté jeune chien fou. Un peu brutal, un peu trop enthousiaste. La joie de la première publication a entraîné l'euphorie rédactionnelle menant au second épisode quasiment dans la foulée, puis d'un troisième dont nous avons regrettez plus haut déjà les navrants défauts. Un bien triste spectacle.
Heureusement, je suis bien entouré, et parmi vous, certains n'ont pas cédé au dégoût et l'écœurement. Bien au contraire, ils ont pris sur eux, se sont assis à ma table et m'ont parlé avec délicatesse, comme à un enfant. "Mon cher Devo, il faut réfléchir avant de publier. On fait ses petits articles dans son coin, on programme à l'avance la sortie de l'article, on ne les sort pas dans la foulée. On dit aux gens "attention, tel jour à telle heure, y'aura un article." Et surtout on s’y tient. Et puis on a trois articles d'avance."
Après avoir pleuré un peu et regretter beaucoup, je ne suis toujours pas arrivé à une conclusion satisfaisante pour vous, mais d'ores et déjà je vous confirme que respecter ses règles est désormais un de mes objectifs. Voici ce vers quoi je m'oriente. Une newsletter par semaine sans doute le jeudi. Peut-être à 3h33 du matin, parce que c'est la moitié de 666 et ça me fait rire. Mais je pense aussi à ceux d'entre vous qui ont des notifications sur l'intelliphone. Le petit son de cloche qui réveille tout le monde à 3h du mat'. Donc ce sera sans doute 15h15, même si ca me semble moins fin tactiquement et artistiquement.
On s'autorisera cependant à livrer un deuxième article soit juste avant le week-end (vendredi dans l'idéal) soit juste après (lundi). On s'obligera en tout cas à ne pas poster plus de deux fois par semaine.
[Vous sentez cette petite saveur de l'échec qui plane dans ce texte. Ca va finir avec un article par mois, vous verrez !]
Mais arrêtons de nous excuser d'être désolé. Arrêtons d'être désolé d'être désolé ! Il y a eu aussi des bonnes choses. Tout d'abord vous avez bien répondu aux annonces faites sur les réseaux sociaux. Le taux de lecture est bon, le taux d'abonnement pas trop dégoûtant, surtout si on considère que, dans les article 2 et 3, je n'ai incité personne à s'abonner. Là encore: l'ignorance et la crasse sont dans la place. En tout cas, vous êtes plusieurs dizaines (enfin deux ou trois) à vous être abonnés. Kissy Kissy. Cher public. Cligne. Autre point auquel je me suis tenu : régulièrement faire des promesses qui seront sans doute non-tenues, comme un teaser déceptif. "On en reparlera bientôt." C'est ça, ouais... Cligne. Cligne.
Tout cela étant dit, rentrons dans le vif du sujet.
Comme le titre de cette publication l'indique, le sujet du jour sera l'hystérie. De la même manière que mes choix en matière de films et de séries m'avait conduit, un peu au hasard, à voir deux séries et un film en dix jours parlant de santé mentale alors même qu'on venait de célébrer la Journée Mondial pour la Santé Mentale (c'était le sujet de notre premier article ! Clique si tu oses !), figurez-vous que ces derniers jours le phénomène s'est répété.
Coincé entre deux jeux de la drogue comme un pauvre type dans une ruelle déserte (BROTATO et UNIVERSAL PAPERCLIPS, une vraie horreur, mais on en reparlera plus tard), je n'ai pas eu vraiment loisir de regarder beaucoup de films ou de m'occuper des mes enfants ou de rassurer ma femme. Malgré tout, la boucle a été déconstruite par deux films qui ont cassé le process avec violence, à grands coups de tatanes et à grands cris.
Suivez-moi, on entre ensemble dans le monde de la bolosse.
PROMARE de Hiroyuki Imaishi (Japon, 2019): combien ce petit golgoth, dans la vitrine, ouaf, ouaf ?
Ecoutez, c'est simple: je ne sais même pas par où commencer.
Je suis sans doute loin d'être un weeb et je suis pas non plus un forcené du cinéma d'animation. [J'ai dernièrement dû accompagner ma progéniture voir MOI MOCHE EN MECHANT JE NE SAIS PLUS COMBIEN, quel supplice. Et que dire de l'encore plus déceptif VICE VERSA 2, complétement raté et dont je n'ai pas vu le premier épisode qui était bien parait-il. Et je ne suis pas sûr qu'on en parle ici bientôt, je n'aurais pas le courage.]
En tout cas voilà ce que je peux vous dire. Comme disait le poète, il y a deux types de films d'animation. Les normaux qui sont vaguement pénible. Et ceusses qui pètent le moule, marche au milieu de la route en hurlant comme des détraqués. Et ceux-là, ce sont les films biens !
PROMARE nous place dans le futur. Il y a 30 ans, la planète a presque entièrement brûler. il faut dire que la découverte parmi la population de nombreux mutants capables de manier et dresser le feu pour en faire ce qu'ils veulent, a un peu stressé la population "normale." Conflits, destructions, incendies partout et justice nulle part ont conduit à la destruction la moitié des villes. Depuis lors, la paix est revenue. mais il reste des mutants pyromanes. Et de temps en temps, ils font encore d'énormes dégâts. C'est là qu'interviennent nos héros: les jeunes pompiers de la Burning Unit. Galo Thymos (!??!) est un de ceux-là: un jeune pompier ultra-déter’, très foufou et expert en sauvetage de vie et éteignage de feu. Il va tout faire pour arrêter les mutants...
Voilà, voilà. Tout cela est bien foufou et délirant, mais l'amateur nippophile sait qu'au pay du soleil levant, on a une longueur d'avance, bien souvent , dans la folie douce ou dure. Si vous voulez tester cette folie en mode acueuillant et bienveillant, vous pouvez jeter un oeil sur DORHEDORO de Hayashi Yuuichirou (sur Netflix) qui s'avale sans sourciller et dans la bonne humeur.
PROMARE met la barre clairement au-dessus, même en mesurant à l'échelle japonaise (??), et explose tous les standards. Si l'intrigue, très directe et fort sympathique reste dans les clous, du côté de la mise en scène c'est une tout autre limonade.
La mise en scène dépasse les frontières du Bien et du Mal. Là encore, je cite les poètes :"Trop, c'est pas assez !"
Imaginez des tons relativement pastels, avec biens sûrs parfois de grands à-plats de couleurs "normales" (un noir, un blanc, un bleu), mais où la couleur maitresse (et vrai sujet du film d'ailleurs) serait le rouge pâle et TOUS ses dégradés (du mauve, du rose etc.). D'un simple point de vue des couleurs, l'hystérie est déjà présente. Le second point important, c'est que le réalisateur ne cherche absolument pas la fluidité de l'animation mais au contraire vise la saccade (avec gel même très bref de l'image parfois). Pas question non plus de construire des séquences homogène ou "cohérente" : ici, ça sera débrayage sur débrayage, le rythme est chaotique. La vitesse est de mise mais l'ensemble doit être pétaradant, uniquement fait d'à-coup, d'opposition ou de mouvements qui contredisent les précédents.
Et si cette chose étrange est possible, c'est à cause et du cadrage et de la composition de l'image qui rendrait le reste (ce que je viens d'essayer d'expliquer) presque présentable à vos parents, un dimanche devant le traditionnel poulet-frites. Je le dis bien fort: ce qui se passe dans la cadre et la composition est un scandale complet. On est en pleine fête du slip: tout le monde avec la sluggy sur la tête ! Les surcadrages les plus frondeurs et les plus idiots sont constants: le plan se décompose à toute vitesse en non pas deux , non pas trois, mais quatre, cinq ou encore plus de plans simultanés et pas symétriques comme dans un sorte de split-screens des enfers, avec des découpes étranges dans le plan ou avec des splits horizontaux dingos. Et bien sûr ça bouge tout le temps. Premiers Point.
Pour le deuxio, imaginez que la volonté du "réalisateur" est de faire en sorte qu'apparaissent à l'écran majoritairement des formes rappelant le carré ou le rectangle. Alors évidemment, vu le dispositif, c'est de la géométrie déformée. Mais quand même, imaginez. Par exemple le soleil qui frappe l'objectif. Au lieu d’un effet de flare qui provoque des effets de déformations circulaires, ici ce sont des carrés ! Alors, je sais que tout cela est bien dur à s'imaginer mais... VOUS RENDEZ-VOUS COMPTE DE LA TAILLE DE LA DINGUERIE ?
Bien évidemment, tout cela doit aller à 200 à l'heure, en contresens et en marche arrière sur l'autoroute du yolo, et là encore je cite un poète.
Contrairement -attention, mauvais foi en préparation-, à, au hasard, VICE VERSA 2, PROMARE avec son histoire sympatoche mais très balisée, lâche les chiens et mise toute sa fortune uniquement sur la mise en scène. Une mise en scène ni élégante, ni classe: juste folle à lier.
[VICE VERSA 2 avait un super concept : il n'en fait rien. Visuelement, c'est gentillet, très rond, et scénaristiquement rien ne va: choix du contexte, propos, c'est navrant de banal, et disons-le, c'est bête. Et surtout, le film REFUSE de faire la mise en scène, alors même que le thème l'y encourageait à fond. (Par exemple , entre l'intérieur et l'extérieur, il n'y a aucun jeu de contamination, ni dans le sens, ni dans la forme, c'est quand même un comble !) ]
PROMARE est peut-être, ou sans doute, de mauvais goût. Il nous lessive, nous broie. Ce n'est pas du Ronsard. Il ne compte pas fleurette. Il passe avec ses chaînes de tanks surdimensionnées dans les parterre de roses de Monsieur le Préfet. C'est hystérique mais quel beau geste ! Les plus timorés d'entre vous tenteront l'expérience sur OCS Ciné+.
[Les lillois, je ne vous oublie pas: on va essayer de passer ça sur grand écran pendant un Bon Chic Mauvais Genre. Et pour ceux qui veulent encore plus d’animation nippone foldingue je conseille le très beau TASHIGUI RETSUDEN de Mamuro Oshii qui ressemble un peu à ce que pourrait être un anime japonais si on obligeait Peter Greenaway à en réaliser un ! Mais attention: on est très peu à aimer le film. Dans la majorité des cas, même les plus motivés n’adhère pas. A bande d’entendeurs, comme disait l’autre.]
L'AMOUR BRAQUE de Andrzej Zulawski (France-1985): Je suis malheureuse parce que je suis conne et parce que le Monde est con !
Je sais pas comment vous le dire autrement mais j'adore Zulawski. Et je suis un très mauvais fan puisque je m'appuie sur mes acquis. Il m'en reste beaucoup à voir encore des Zu et pourtant, je temporise, je prend des détours.
Tchéky Karyo est un loulou qui, avec sa bande, font un casse retentissant (et très sobre, tout en finesse) dans une grande banque. Après avoir pris la fuite avec ses compagnons d'armes, tous très très discrets, Tchéky va rejoindre sa petite amie qu'il aime à la folie, à Paris. Dans le train, il croise Francis Huster (vous commencez à avoir peur là, normalement), un jeune homme perturbé, un peu fou et très tourmenté qui accepte de suivre la joyeuse bande.
Karyo rejoint sa petite amie. C'est Sophie Marceau, semi-mondaine, qu'il enlève à ses souteneurs. Et là, c'est le drame: Huster tombe amoureux de Marceau !
Peut-être n'avez-vous jamais eu la chance de voir un Zulawski. Peut-être n'avez-vous vu que L'IMPORTANT C'EST D'AIMER, film fou et éprouvant mais peut-être un poil plus classique (si tant est que ça veuille dire quelque chose quand il s'agit de Zulawski). Si vous êtes dans un de ces deux cas, vous allez avoir un choc avec L'AMOUR BRAQUE.
Là aussi, le concept de normalité n'a quasiment plus d'importance. On joue dans une autre ligue que les autres réalisateurs. Comme disait l'autre, ce n'est même plus le même sport. Zuzu, comme l’appelle ses fans, place délibérément tous les curseurs dans le rouge : trop de dialogue, toujours hurlés ou presque, des scènes toujours plus improbables tendant vers une espèce de surréalisme urbain qui n'est pas sans rappeler un Bertrand Blier de l'époque (ou plutôt le Blier des années 90). Il n'y a qu'une seule règle: pédaler tout le temps à fond, même dans les descentes.
Et n'allez pas vous fourvoyer : malgré cela, il y a de la nuance, notamment grâce à un rythme bien travaillé, parfois achoppé qui, de manière très sensuel nous fait ressentir, l'exaltation et la fatigue de toutes ces âmes passionnées mais déchirées. On rit, on bouffe, on baise parfois, mais on souffre. Le monde est cruel, avec son cortège de fantômes là. On sait plus comment s'aimer. On ne sait plus comment se toucher. On est pur dans une période violente et oppressante.
Le chemin est beau cependant, fait de superbes cadrages souvent surprenants, de travelling assez dingues. On visite un Paris remplis de personnages mais vide de ses habitants (rien que pour ça, je vous le conseille). On chante une ode à la liberté, aux amours impossibles, à ce Paris des Perdus, remplis d’étrangers, de putes , de gangsters, de toute une jungle queer, de vieux ou jeunes aristos déchus, de gens de théâtre décadents eux aussi. Ca hurle, ça déclame ou au contraire ça chuchote trop. Rien n'est facile, rien se fait comme à la normale. Huster quand il veut enlever sa chemise dans le film, il ne déboutonne pas les bouton, il fait passer la chemise de force au-dessus de sa tête, de la plus difficile des manière, comme un détraqué. On hurle ses répliques comme dans du mauvais théâtre.
Bien sûr, les tenants et les aboutissants parfois nous échappent mais on ressent l'essentiel: on paye le poids d'un passé qu'on n’a pas connu mais dont on a hérité. Les brûlures sont métaphysiques, mais les vrais salauds, eux, ne passent jamais à la caisse.
Comme d'habitude chez Zuzu, tout cela est fort beau. Et même si j’ai du parfois prendre mon courage à deux mains car je ne suis pas vraiment de Francis Huster (qui ici va du très bien à l'exaspérant, sans aucune règle), je dois avouer avoir beaucoup admirer le casting et avoir eu du plaisir à revoir certaines tronches du passé (Ged Marlon dis donc! Et plutôt pas mal en plus). Sophie Marceau, quant à elle, est parfaite.
Cerise sur le gâteau, dans le deuxième rôle féminin, il y a Christiane Jean que les détraqués dans mon style connaissent bien puisqu'elle était la co-héroïne de la série LES FILLES D'A CÔTE, célèbre production AB. J'ai une obsession pour les productions AB (que pourtant je détestais à l'époque). On en reparlera, c'est une promesse. Ca sera votre expérience HELLRAISER: vous serez traversés de souffrance et de plaisir ! Christiane Jean n'est pas ma préférée dans l'AB-verse, mais ici je l'ai trouvé à l'aise comme un poisson dans l'eau.
Bref, tout cela est bien fou. Souvent magnifique. Du cinéma de tarés pour un monde qui ne l'est pas moins. Ca se tente, non ?
[C'est encore sur OCS Ciné+.]
Je vous souhaite le tout meilleur et repart, comme on ne le ferait jamais dans ces films, sur la pointe des pieds.
La bize.
Dr Devo.